JMA 2022 : Contribution du Pr Charles Binam Bikoi
La Journée mondiale de l’Afrique qui coïncide avec l’anniversaire de la création de l’Organisation de l’Unité africaine (OUA, Union africaine actuellement) s’est célébrée cette année dans un contexte exceptionnel, où le système de santé, la sécurité alimentaire ainsi que la paix restent les principaux défis à relever.
Dicté par la conjoncture, le thème annuel choisi par l’Union Africaine pour de l’édition 2022 de la journée de l’Afrique est : “2022, Année de la nutrition en Afrique – Renforcer la résilience en matière de nutrition et de sécurité alimentaire sur le continent africain : Renforcement des systèmes agro-alimentaires, des systèmes de santé et de protection sociale pour l’accélération du développement du capital humain, social et économique”.
Ce 25 mai, comme tous les ans au Cameroun, le Ministère des Relations Extérieures a abrité une série d’activités. Sous la présidence du Secrétaire Général du Ministère des Relations Extérieures, S.E. Monsieur OUMAROU CHIMOUN, et en présence des membres du Corps Diplomatique accrédité à Yaoundé, une cérémonie solennelle de commémoration de la 59ème édition de la Journée de l’Afrique (Africa Day) s’est tenue à l’Esplanade du Bâtiment B du Département. Lors de cette cérémonie le Professeur Charles Binam Bikoi, Secrétaire Exécutif du CERDOTOLA, a délivré une communication sur le thème de l’année, suivie d’une leçon inaugurale sur le Droit à l’alimentation par Madame Marie-Louise ABOMO, Commissaire à la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples de l’Union Africaine.
En se disant honoré, le Pr Charles Binam Bikoi a remercié le Gouvernement de la République du Cameroun pour l’opportunité donnée au CERDOTOLA, Institution panafricaine ayant pour mandat la connaissance, la protection et la valorisation du patrimoine traditionnel, de prendre part et de prendre la parole à la célébration.
Pour répondre à l’invitation du Ministères des relations extérieures, l’occasion était toute donnée pour présenter solennellement une perspective pour une lecture endogéniste du thème de l’édition 2022, à travers son exposé intitulé ‘‘Traditions, patrimoines et souveraineté dans le renforcement de la résilience nutritionnelle, la construction du capital humain et le développement de l’Afrique’’. Par cet énoncé, le Chef de Mission Diplomatique du CERDOTOLA a soutenu que c’est par l’activation des patrimoines que l’Afrique, elle-même protectrice de sa souveraineté et ouverte à des relations productives avec ses partenaires globaux, se hissera à la capacité de redéfinir et d’accomplir effectivement le renforcement de sa résilience nutritionnelle, la construction du capital humain et le développement socioéconomique optimal du continent. Après avoir observé que le thème de l’année 2022 s’inscrit dans le prolongement de celui de 2021, il a fait savoir que la contribution proposée par le CERDOTOLA suggère un emboîtement parfait sur les deux années, l’esprit pouvant être résumé ainsi : ‘‘les arts, cultures et patrimoines, leviers du renforcement de la résilience en matière de nutrition, l’accélération du capital humain et du développement social et économique du continent africain’’.
Le contexte stratégique global dominé par les ondes de choc de la crise de la COVID-19 et de la situation militaire en Ukraine mettent à rude épreuve la résilience alimentaire. En effet, la crise qui implique actuellement deux des plus grands fournisseurs de blé au monde, à savoir la Russie et l’Ukraine a entraîné des perturbations extrêmement sérieuses alors que l’Afrique peinait déjà à remédier aux séquelles sociales et économiques de la Covid-19 et à d’autres problèmes de développement. Etant donné que les principaux produits à base de blé, à l’instar du pain, sont les principaux aliments dans la plupart des villes africaines, ces facteurs conjoncturels aggravent la pauvreté. Les nouvelles options de développement du capital humain apparaissent nécessaires pour faire face aux défis que ce contexte rend plus ardu.
Une des grandes leçons qui se dégage de cette conjoncture est que pour l’Afrique, la conjonction récurrente et à répétition prévisible de l’inflation et de l’insécurité des approvisionnements a fini de discréditer les coordonnées de la sécurité alimentaire en vigueur dans le pilotage de nos économies depuis leur libéralisation des prix … Tant que l’Afrique restera dans le système rentier elle ne pourra ni réduire sa dépendance à la production alimentaire étrangère, ni augmenter la sienne propre, ni encore moins la transformer pour y ajouter de la valeur, peser sur les prix, s’assurer de satisfaire ses besoins nutritionnels élémentaires et compétir au niveau international. Dans ces conditions, il est évident que les Gouvernements africains ne pourront pas faire face aux triple défis que sont : assurer le service de la dette, augmenter suffisamment l’assiette fiscale et les revenus de l’Etat et financer l’économie, notamment à travers les PME et PMI qui nécessiteront de plus en plus un capital humain conséquent.
Pour le Pr Charles Binam Bikoi, l’option pertinente serait alors celle de la souveraineté et de la justice alimentaire, qui, en développant l’agriculture africaine selon les préférences alimentaires de l’Afrique, avec ses capacités propres et ses patrimoines, est plus susceptible de conduire à la disponibilité des aliments, à la résilience nutritionnelle et à la construction du capital humain. Ce changement d’optique et de méthode consiste à rejeter l’approche de la sécurité alimentaire qui entretient les besoins et adopter l’approche de la souveraineté ouverte fondée sur les atouts propres patrimoniaux et visant la satisfaction des besoins.
Pour se faire bien comprendre, il a rappelé que la résilience est la capacité des systèmes à rebondir et fonctionner correctement après un choc. A l’évidence, les systèmes alimentaires et nutritionnels africains soumis à l’extraversion ne peuvent pas faire preuve de résilience. Dans le cadre de la sécurité alimentaire, leur fonctionnement approximatif dépend en réalité de la résilience des marchés extérieurs, or la destinée des nations dépend de la manière dont elles se nourrissent. Si les nations africaines ne peuvent se nourrir que comme les marchés et la production des autres en décident leurs destinées sont irrémédiablement compromises, d’où l’urgence de la perspective endogéniste de la souveraineté alimentaire qui apporte des coordonnées plus sûres, que le CERDOTOLA recommande de plus en plus au niveau de l’Union Africaine, portant Programme d’Alimentation Patrimoniale des Africains, ALIPA.
Construire durablement le triptyque : résilience alimentaire, capital humain et développement par les patrimoines africains correspond globalement à lever les hypothèques structurelles susmentionnées par le Concept que le CERDOTOLA a lancé il y a déjà un an, celui de l’IndusTradition, ou l’industrialisation des traditions africaines. L’IndusTradition agroalimentaire consiste ici à l’exploitation industrielle privilégiée, systématique des traditions, des patrimoines agricoles et alimentaires qui sont susceptibles d’être manufacturées et protégées par les moyens de l’économie solidaire des communautés, la propriété intellectuelle et la coproduction avec les partenaires étrangers, un ensemble qui contribue au développement du capital humain et à la diffusion des gains de productivité dans l’ensemble du système économique. L’IndusTradition et sa capacité à gérer de la résilience nutritionnelle et alimentaire, ainsi que la construction du capital humain et le développement socioéconomique se décline de façon exemplaire avec des chaînes de valeur comme celle du manioc ivoirien soutenue par l’Union Européenne et 50 millions de tonnes de racine de manioc et seulement deux produits IndusTraditionnels à valeur ajoutée. La Chaîne de manioc apporte près de 600 milliards de FCFA par an à l’économie de la Côte d’Ivoire. Ce chiffre peut aisément être multiplié par dix, dans des pays comme le Nigéria, la RDC, le Cameroun, le Mozambique et d’autres qui ont une chaîne de valeur de manioc plus étendue.
Les produits traditionnels susceptibles de faire l’objet d’une exploitation industrielle aux standards internationaux se comptent par milliers et les chaînes de valeur par centaine. Pour les valoriser, il suffirait de construire la base de l’IndusTradition qui est à côté des progrès de l’agriculture intensive conventionnelle visée par des stratégies de transformation structurelle, l’optimisation de l’agriculture biologique traditionnelle où les africains détiennent un savoir-faire conséquent dont la mise à niveau technologique porterait sûrement un développement.
Face à ces enjeux, et pour conclure son propos, le Secrétaire Exécutif a exposé les 8 éléments de réponse que propose le CERDOTOLA :
- ll s’agit d’œuvrer à la mise en œuvre de ces aspects de la tradition africaine comme source de créativité, de vitalité et d’inspiration pour nourrir la construction de la prospérité.
- Il s’agit pour l’Afrique, en vue pour être résiliente sur le plan nutritionnel et au-delà, de changer de paradigme et d’opérer un certain nombre de passages transformationnels salutaires reconnus impératifs pour le monde, bien au-delà de la seule Afrique.
- Il s’agit de s’extirper du régime alimentaire des multinationales, pour mettre en place celui des communautés qui prend sa source dans les ressources endogènes.
- Il s’agit de passer d’une politique pseudo-réformiste à une vraie politique alimentaire résolument progressiste.
- Il s’agit de dépasser le discours obsédant et obnubilé de l’entreprenariat et de la sécurité alimentaire à celui de la souveraineté alimentaire et de la justice alimentaire.
- Il s’agit de subvertir la dépendance au grand capital pour rechercher et trouver des alternatives endogènes viables de celle qui existent.
- Il s’agit d’abandonner l’orientation centrée sur le seul profil et le pseudo- développement mimétique pour fonder ou mieux pour refonder un droit souverain des modes de production et d’accès alimentaire et nutritionnel.
- Il s’agit, enfin, de passer d’un modèle de surproduction, de dérégulation, de monopole, d’unification par modification génétique et de reformes timides, à un modèle agro écologique privilégiant les coordonnées et pratiques solidaires et symbiotiques d’alimentation et d’adéquation nutritionnelle comme droit humain, un modèle ayant l’autonomie de l’initiative comme principe intangible.
Célébration de la journée mondiale de l’Afrique, édition 2022, au Ministère des Relations Extérieures du Cameroun
– Mot du Représentant de l’Union Africaine au Cameroun
– Contribution du Pr Charles Binam Bikoi, Secrétaire Exécutif du CERDOTOLA
– Leçon inaugurale de Madame Marie-Louise ABOMO, Commissaire à la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples de l’Union Africaine.
– Allocution du SG MINREX Cameroun, DIPLOCAM
A propos de la journée mondiale de l’Afrique.
Chaque année, la Journée mondiale de l’Afrique est célébrée le 25 mai, car c’est à cette date qu’ont été signés les accords de l’OUA en 1963, qui représente le symbole du combat de tout le continent africain pour la libération, le développement et le progrès économique et social, en plus de la valorisation et l’exploitation de la richesse culturelle africaine.
C’est un jour férié dans de nombreux Etats membres de l’Organisation de l’Unité Africaine. C’est l’occasion pour chaque pays d’organiser des événements pour « favoriser le rapprochement entre les peuples africains ». Cette journée est devenue une tradition fortement enracinée dans l’ensemble des pays africains, et elle représente le symbole du combat de tout le continent africain pour la libération, le développement et le progrès économique.
- Message du Président de la Commission de l’Union Africaine Africaines, à l’occasion de la célébration de l’édition 2022.
https://fr.cerdotola.com/2022/06/10/jma-2022-celebration-de-la-journee-de-lafrique/6953
- L’année 2021 avait été placée sous le thème «Art, culture et patrimoine : leviers pour construire l’Afrique que nous voulons», et cette journée de l’Afrique marquait également l’entrée en vigueur officielle de la Charte de la Renaissance culturelle africaine, qui promeut les valeurs culturelles africaines comme levier de développement.
Le CERDOTOLA, Institution prééminente consacrée à la préservation, la diffusion et la mise en valeur du patrimoine africain, avait été sollicité au plus haut niveau, sur différents espaces de la célébration.