Colloque des ECRANS NOIRS 2024
Les créativités artistiques et cinématographiques africaines
face aux opportunités et défis de l’intelligence artificielle
Sous la Direction scientifique du CERDOTOLA
Auditorium de la Maison de la Radio, Yaoundé, Cameroun, 21-22 octobre 2024
TERMES DE REFERENCE
Contexte, enjeux et problématique
Le potentiel de destruction créatrice de certaines technologies a été historiquement sous-estimé. Tel ne semble pas devoir être le cas pour l’intelligence artificielle (IA). Il est largement reconnu que, pour le meilleur ou le pire, elle va désormais s’introduire et s’imposer avec des effets transformateurs de grande ampleur dans tous les domaines de la vie. De fait, l’IA est sans doute la plus nodale et transversale des technologies de la quatrième révolution industrielle (industrie 4.0) qui incluent la robotique de nouvelle génération, l’internet des objets, la manufacture additionnelle (impression en 3D), etc.
La prospective technologique, industrielle et plus largement économique, anticipe qu’avec l’automatisation des activités et tâches due à la montée de nouveaux paradigmes à l’exemple de l’intelligence artificielle et de la robotisation, l’industrie 4.0 va entrainer la destruction, la suppression ou la disparition d’environ 47 % des emplois dans l’agriculture, la manufacture et les services à l’horizon 2035. Il y a sujet à préoccupation du fait que, si elles parviennent en Afrique dans l’état actuel des choses, les ondes de choc de cette révolution auraient pour effet, malgré des gains marginaux au niveau de quelques start-ups de la high tech, de réduire de façon compromettante la compétitivité de la manufacture et des industries créatives et culturelles africaines actuellement bourgeonnantes, et en particulier dans les secteurs liés aux créativités cinématographiques et artistiques plus ou moins connexes.
Le contexte général est celui d’une crise et d’un basculement paradigmatique de la créativité, de ses mécanismes, outils et processus. Lors des premières révolutions industrielles, les préoccupations étaient liées à la nature et au destin de l’œuvre d’art à l’ère de sa reproduction industrielle. Avec la quatrième, l’on est en train de passer à grande vitesse du cadre de la production assistée par ordinateur à celui de la création humaine potentiellement remplaçable par l’IA. A côté de cette explosion en cours des capacités de conception et de production artificielles dans l’esthétique de la création artistique la plus large, émergent à l’Université et dans les institutions de recherche divers défis liés à l’automatisation de la génération de travaux scientifiques. L’ensemble se déroule sur fond de montée en force des paradigmes à la fois complémentaires et concurrents du brutalisme, du posthumain, du transhumanisme, du perhumanisme et d’autres qui tendent aussi bien à la réduction objectale de l’être humain qu’au renforcement technologique de ses capacités naturelles, mais aussi à sa réduction au superflu.
Le remplacement de l’humain et sa surexploitation automatisée, notamment par l’imitation via les techniques de machine learning et de reproduction infinie, améliorée et plus performante de sa signature productive portent à son appropriation par les géants de la technologie. Ces défis ont été annoncés dès les premières œuvres de fiction sur les conflits à venir entre l’IA et les humains. Le roman de science-fiction a joué le rôle pionnier avant que le cinéma ne visibilise fortement cette problématique, poursuivant une véritable tradition critique de la modernité technoscientifique dont une œuvre majeure comme la trilogie iconique du tournant du siècle The Matrix/Reloaded/Revolutions n’est qu’un des exemples les plus connus. Certes la réalité n’a pas encore atteint ces extrémités. Mais les conflits d’intérêts sont déjà ouverts au sein et entre les groupes humains, opposant ceux qui vont bénéficier de l’IA et ceux qui vont être obligés de lui résister. Et l’Humanité tout entière va devoir s’atteler à trouver et adapter en permanence les voies et moyens d’en tirer et trier les meilleurs apports, tout en en prévenant les dérives.
Au plan socioprofessionnel et technique, les effets sur le cinéma se font déjà fortement ressentir. Un épisode décisif s’est joué lors des grèves de l’été et de l’automne 2023 à Hollywood. Entre autres enjeux, s’imposait le contrôle de l’IA pour éviter de pénaliser les professionnels du cinéma. Acteurs, scénaristes, monteurs, cascadeurs et autres doubleurs ont exigé et obtenu que soit régulé et limité l’usage de l’IA. L’objectif, provisoirement atteint, est de prévenir certaines prises de propriété perpétuelle des éléments humains et, in fine, négocier équitablement entre les nouvelles facultés apportées par l’IA et le maintien des métiers qu’elle est désormais capable d’éliminer par remplacement dans la logique de la destruction dite créatrice.
Mais le problème reste presque entier au-delà de cette avancée certes relativement exemplaire et inspirante, mais localisée. Une des leçons porte sur le niveau capacitaire permettant de négocier la limitation des effets pervers de la pénétration de l’IA et des menées d’appropriation, d’exploitation et parfois de neutralisation indue au moyen de l’IA. L’Afrique et ses créativités sont particulièrement concernées par les effets et impacts prévisibles de ces différentiels capacitaires, au moins sur deux plans de concurrence.
Au plan général de la transformation structurelle de l’économie et de la production avec les gains de productivité sans précédents que promet l’industrie 4.0, les efforts d’industrialisation de l’Afrique arrivent sur fond de déficit numérique, avec une main-d’œuvre abondante et bon marché mais peu qualifiée. Cette ambition se confronte à la course à la réindustrialisation de l’Occident avec l’approche des Headquarters economies visant le rapatriement en Europe et en Amérique du nord des industries précédemment délocalisées dans les pays ayant une main-d’œuvre bon marché. Le pouvoir de négociation de l’Afrique, en rapport avec l’amélioration de son niveau technologique, et spécifiquement d’appropriation de l’IA, s’en trouve menacé.
Au plan spécifique des Industries créatives et culturelles (ICC) et, parmi elles, des créativités et productivités artistiques et cinématographiques (CPAC), un double problème de stratégie et de politiques publiques se pose. D’une part, les projections de transformation structurelle en Afrique ne sont pas suffisamment affirmées du point de vue de la migration des secteurs de ces créativités de l’économie sociale vers l’industrie. D’autre part et par conséquent, ce reclassement déficient entretient la fracture numérique et ne permet pas de connecter solidement les avancées des hubs et start-ups du high-tech avec les CPAC en vue de les optimiser dans un mouvement coordonné et cohérent générateur de gains de productivité et de résorption de l’hétérogénéité structurelle entre les secteurs de haute productivité et ceux de l’habitus artisanal de subsistance.
Ces maelströms de déficits, aggravés par le manque de formations robustes, maintiennent les créativités africaines au niveau de la subsistance, créant des appels d’air qui se traduisent par de réelles possibilités et menées d’étouffement des efforts africains, avec à la clé la récupération des ressources exploitables par la concurrence internationale. Dans ce sens, en considérant la nouvelle ruée vers l’Afrique, les ressources de l’industradition (industrialisation des traditions) comme l’héroïsme traditionnel susceptible d’être exploité dans les créativités littéraires et l’industrie de l’image (Bande dessinée, dessin animé, cinéma, etc.) sont désormais la cible d’une exploitation échappant aux africains. En témoignent des programmes comme celui engagé avec le projet African Folktales Reimagined de Netflix. En partenariat avec l’UNESCO, le géant américain du streaming a entrepris de former et financer de jeunes réalisateurs africains en vue de l’exploitation industrielle des contes africains, ce qui, associé à l’IA, pose des risques de détournement-récupération non africaine des sources et ressources africaines de CPAC.
Or, ces ressources participent d’une autre IA, autrement importante : l’Intelligence ancestrale. Celle-ci apparait comme une puissante réserve de valeur qui, suivant les théories de la complexité, mobilise des variables de contrôle sur l’intelligence artificielle prise comme ordre de variables d’exécution. L’Intelligence ancestrale revêt, dans ce sens, une valeur non seulement économique en termes de production optimisée avec l’IA, mais aussi et surtout une valeur institutionnelle et éthique pour la régulation de l’IA. La problématique doit ainsi se reconsidérer dans la perspective de la maitrise conjointe de l’intelligence artificielle et ancestrale (I2A).
C’est à partir de là que les problèmes peuvent être posés le plus pertinemment pour les créativités et productivités artistiques africaines qui sont encore écartelées sur un spectre ternaire. A un bout, il y a le cinéma en low tech émergeant de la mise en scène de la vie quotidienne de l’Afrique traditionnelle avec des caméscopes qui a présidé aux débuts de Nollywood, introduisant le passage au numérique élémentaire. A l’autre extrémité, les start-ups high-tech des jeunes Africains s’ouvrent à l’IA mais restent encore trop limitées pour porter l’ensemble de l’industrie des CPAC du continent vers la transformation digitale. Entre les deux, il y a les efforts des cinéastes africains professionnels, parfois lauréats de prix internationaux, qui ne parviennent pas à assurer suffisamment les fonctions de connecteurs et densificateurs entre les deux bouts du spectre. Or, c’est avec les connexions que, dans le contexte africain, seront réduites les barrières à l’entrée et générés des économies d’échelle à des niveaux et seuils transformateurs, porteurs de cercles vertueux de productivité, de développement technologique et de régulations promotrices et protectrices des CPAC en lien avec l’I2A. La problématique que soulèvent ces enjeux gigantesques dans le secteur des CPAC africaines peut se résumer en une question centrale, essentielle : comment saisir, remettre en sens et redéployer les opportunités et limiter ou mitiger les menaces apportées par l’IA dans les CAC en Afrique ?
Pour y répondre, les contributions sont invitées pour explorer, sans s’y limiter, les thématiques, enjeux, défis et perspectives des différents axes d’analyse et de recherche.
Axes d’analyse et de recherche
- IA et redéfinitions de la créativité en Arts et cinéma ;
- Histoire, modalités, processus et effets multiples du passage de l’analogique au numérique et à l’IA dans les CPAC globales et leurs résonances africaines ;
- Etat des lieux des capacités et déficits africains en matière d’IA en lien avec les CPAC : problèmes, enjeux, solutions et perspectives ;
- Réalités, perceptions et représentations contrastées des rapports entre l’IA et les CPAC ;
- Transformations, effets et impacts de l’introduction de l’IA sur les processus et procédés de production dans les CAC africaines : Modèles croisés de débrouillardise, de professionnalisme et d’élitisme ;
- Inputs (accès, formation, institutions, réseaux capacitaires, financement) et optimisation de l’exploitation de l’IA dans les pays africains
- Gains et pertes dans les tendances à la standardisation avec l’IA ;
- IA/I2A et types de cinéma ;
- Propriété intellectuelle et normalisation ;
- Création et production croisée avec et sans âme : valeurs limites en usages de l’IA et valeur ajoutée humaine ;
- Evolution des business models et des impacts environnementaux des CPAC avec l’IA/I2A ;
- Recherche scientifique africaine, littératures grise et liens avec les développements des I2A et CPAC ;
- Place et rôle des liens entre IA/I2A et CPAC dans la transformation structurelle, l’industrialisation et la construction de l’Afrique que nous voulons ;
- Conditions de possibilité des boucles récursives et cercles vertueux de l’usage éthique de l’IA : renforcement des capacités créatives et impacts sur l’intensification et l’extension de l’usage éthique dans la transformation digitale et structurelle.
- I2A, cocréation, cocréateurs et interartialité dans les CPAC ;
- Esthétique générée par algorithmes et chaînes de valeur dans l’exploitation industrielle des traditions matérielles, immatérielles et linguistiques africaines en art et au cinéma ;
- Questions éthiques soulevées par l’utilisation de l’IA dans la création artistique.
- Utilisations de l’IA en pré- et post-production : ciblages, sociométrie, projections, analyse et interprétation des œuvres d’art visuel et cinématographique ;
- Impact de l’IA sur le marché des CPAC africaines et répercussions sur la valeur des œuvres d’art créées par des humains et celles générées par IA ;
- Transformations réciproques des Arts et Technologies à l’ère de l’IA/I2A ;
- Enjeux des représentations de l’IA et des traditions ancestrales dans les Arts visuels et Cinématographiques (stéréotypes, mythes, réalités, anticipations, catastrophismes, utopies, etc.) et impacts sur la perception publique de l’IA ;
- Éducation culturelle et artistique à l’Ère de l’IA ;
- Enjeux démocratiques de l’I2A, de l’image-mouvement et des CPAC ;
- Associations interdisciplinaires et cas d’études sur des projets collaboratifs entre artistes, scientifiques et ingénieurs en IA/I2A, CPAC et domaines connexes ;
- I2A et opportunités d’auto-narration avantageuse africaine dans les genres, styles et langages des CPAC de nouvelles et prochaines générations ;
- I2A et Nouvelle Pensée Africaine des CPAC au service de la renaissance ;
- I2A, coopération et compétition interafricaines et internationales en matière de CPAC ;
- Perspectives stratégiques sur les liens I2A-CPATC : violence des imaginaires, criminalités, conquête des esprits, psychométrie, polémologie reconstructrice, irénologie ;
- Prospective technologique, futuribles et problématiques afrofuturistes en I2A et CPAC.
Articulation et déroulement du colloque
Les contributions au colloque, invitées ou retenues à partir des réponses à l’appel à contribution dont sont constitutifs les présents Termes de référence, seront délivrées dans des panels scientifiques couvrant les questions et perspectives susmentionnées.
En outre, les professionnels et praticiens vont échanger les bonnes pratiques, les expériences et les projections dans quatre ateliers spécialisés, chargés de faire les bilans et élaborer des stratégies de développement sectoriel :
1- Atelier de professionnels et praticiens des métiers du cinéma en lien avec l’IA et l’I2A ;
2- Atelier de professionnels et praticiens des créativités artistiques générales en lien avec le cinéma, l’IA et l’I2A ;
3- Atelier des jeunes innovateurs en technologies digitales en lien avec les créativités artistiques et l’IA/I2A ;
4- Ateliers des professionnels et praticiens de la recherche sur l’alimentation et la régulation des créativités artistiques et cinématographiques en lien avec l’IA/l’I2A.
Les propositions de contribution (1 page maximum), indiquant le nom, l’affiliation institutionnelle et la fonction, devront parvenir au plus tard le 1er octobre 2024 simultanément aux adresses: colloque@ecransnoirs.org, contact@cerdotola.org, biem@post.harvard.edu.
Télécharger les Termes de Références du Colloque du Festival ECRANS NOIRS 2024