Du nouveau aux Éditions du CERDOTOLA : Parution de l’ouvrage sur l’enseignement des Langues et Cultures nationales (du Cameroun) 👇🏾

Sous la direction de Zachée Denis Bitjaa Kody & Emmanuel Ngué Um, avec une préface du Pr Charles Binam Bikoi, vient de paraitre aux Éditions du CERDOTOLA une Nouvelle publication intitulé ‘‘Enseignement des langues et cultures nationales : Approches théoriques, pragmatiques et didactiques’’ en aglais ‘‘Teaching national languages and cultures : Theoretical, Pragmatic and Didactic Approaches’’.

Le Comité scientifique de cet ouvrage est constitué de :

Pius Akumbu, University of Buea, Gratien Atindogbe, University of Buea, Alexis Belibi, University of Yaoundé I, Zachée Denis Reviewers Bitjaa Kody, University of Yaoundé I & International Center for Bantu Civilisation (CICIBA), Eloundou Eloundou Venant, University of Yaoundé I, Valentin Feussi, University of Tours, Evelyne Fogwe Chibaka, University of Buea, Jeff Good, University of Buffalo, Lenore Grenoble, University of Chicago, Emmanuel-Moselly Makasso, Center for National Education,Ministry of Research and Scientific Innovation (Republic of Cameroon), Gérard Marie Noumssi, University of Yaoundé I, Clédor Nseme, University of Yaoundé I, Pierre Oum Ndigi, International Center for Research and Documentation on African Traditions and Languages (CERDOTOLA).

Ci-dessous, l’intégralité de la Préface du Professeur Charles Binam Bikoï

«Les débats contemporains sur l’enseignement des langues et des cultures africaines en général, de celles localisées dans le territoire camerounais en particulier, pour indispensables qu’elles soient, ne devraient pas faire perdre de vue le sombre destin auquel une certaine histoire croyait les avoir assignées.

Il faut situer la source de l’action conspiratrice contre les civilisations africaines dans les théories philosophiques formulées par des auteurs tels que Hegel, Heidegger, Malte-Brun et bien d’autres, à travers lesquelles l’impérialisme colonial a cru pouvoir se légitimer. Ensuite, il faudrait revisiter la législation coloniale soucieuse non seulement de créer les conditions d’une administration efficace au bénéfice de l’envahisseur mais surtout, d’annihiler toute velléité de résistance dans l’esprit de l’indigène, pour évaluer, à posteriori, toute l’intelligence mise en œuvre pour faire aboutir le projet d’assimilation pensé à l’avance.

Les postulats scientifiques des premiers philologues ayant foulé le sol africain ne sont pas en reste. C’est le cas de Karl Meinhof qui, tout épris de l’écologie linguistique africaine qu’il a pu être, n’aura pas manqué de distiller à travers ses stipulations épistémologiques, des relents d’une idéologie impérialiste rédhibitoire. L’étude des langues africaines d’après cet auteur, quand bien même elle paraîtrait vaine et infructueuse d’un point de vue utilitaire, devrait pouvoir se justifier à l’aune d’un projet de découverte et d’élucidation de la structure des idiomes « barbares » des indigènes africains en tant que reflet d’une civilisation primitive pouvant mieux renseigner sur la structure, le fonctionnement et l’évolution des langues de manière générale.

De la philologie précoloniale à l’ethnologie coloniale il n’y a qu’un pas que les faits historiques nous permettent de franchir allègrement. Est il besoin d’évoquer les thèses de Lucien Lévy-Bruhl sur « les fonctions mentales dans les sociétés inférieures », « la mentalité primitive », ou encore « l’Âme primitive », etc. pour comprendre que certaines entreprises scientifiques formaient le cœur organisateur d’un idéologie anti-africaine qui allait se mettre en œuvre plus tard à travers l’action coloniale ?

Il est vrai que la longue période qu’avait duré la traite négrière avait déjà eu raison de pans entiers de la civilisation africaine -. Peut-on alors s’étonner que l’entreprise coloniale ait pu s’enorgueillir pompeusement de son action « civilisatrice » voire rédemptrice ? Et comment alors, dans ces conditions, espérer que les cultures africaines aient pu trouver grâce aux yeux de ceux qui avaient la charge de la mise en œuvre de cette mission «salvatrice » ?

On le voit très bien ; à plusieurs égards il est permis de penser que l’intérêt porté pour l’étude des langues et des cultures africaines ne visait pas l’épanouissement de l’Africain ; un tel investissement ayant vocation, de toute manière, à être vaine et infructueuse, tant l’idéal occidental semblait naturellement s’imposer comme la voie royale.

Les efforts déployés par les missionnaires en vue de l’étude et de l’enseignement des langues africaines ne s’inscrivaient que dans le cadre strict des nécessités coloniales d’une part ou de l’intérêt de la science fondamentale d’inspiration occidentale, d’autre part. Il faut d’ailleurs se rendre compte, sous ce deuxième rapport, que l’étude des langues africaines à des fins expérimentales ou de validation des théories linguistiques a largement dominé l’agenda de la linguistique africaine jusqu’à nos jours. La dichotomie entre « linguistique théorique » et « linguistique appliquée » est à ce sujet remarquablement clivante en contexte africain, comme si l’une pouvait procéder sans l’autre. Le leg colonial n’a pas laissé de greffer des stigmates mentales qui, de nos jours encore, continuent d’influer sur les pratiques scientifiques et académiques en matière de langues et cultures africaines.

Pour mieux comprendre le reflet des schémas de représentation coloniaux sur nos pratiques scientifiques, académiques et éducatives contemporaines, il suffirait de s’arrêter un instant sur l’acclimatation incestueuse dont ont fait l’objet des concepts tels que « langue », « culture », « civilisation », ou encore « littérature » en contexte africain. A quoi ressembleraient nos pratiques et nos postures savantes si, au lieu d’avoir intuitivement admis comme universelle et objective la conceptualisation occidentale de ces réalités, la linguistique et l’anthropologie africaines les avaient reformulées à partir de l’expérience sociale africaine ? Mbog chez les peuples basaa par exemple, ne récapitule-t-il pas la phénoménologie cosmique distribuée entre ces différentes notions ?

Quelle pertinence aurait alors l’étude de la « langue » sans la ramener au « fait culturel » qui la structure ? Comment appréhenderait-on la « civilisation » à moins de l’avoir agrégée à l’histoire et à la géographie du fait culturel, lui même récapitulant le fait linguistique ? Aurions-nous à inventer puis à déployer, faute de mieux, un néologisme tel que « littérature orale » dont les termes, dans l’usage du français standard, s’excluent mutuellement, tout en suggérant en creux un agencement hiérarchique entre les « lettres » et « l’oralité » ?

Tant de contradictions organiques et structurelles dans nos pratiques scientifiques et dont les effets pervers ne sont pas toujours évalués à leur juste mesure, qui devraient nous alerter sur l’urgence d’une réfondation de nos approches d’étude, d’analyse, de représentation, et d’enseignement des faits de civilisations africaines. C’est ce qui, me semble-t-il, a sous-tendu l’organisation en septembre 2014, du tout premier colloque camerounais sur « l’Enseignement des Langues et Cultures nationales, Approches théoriques, pragmatiques et didactiques ».

Naturellement, le Centre International de Recherche et de Documentation sur les Traditions et les Langues Africaines (CERDOTOLA) a été honoré d’accompagner ce moment de réflexion et d’échange, tant sur le plan de son organisation, des contenus savants, que de la valorisation des résultats auxquels ont abouti les chercheurs, activistes et enseignants ayant pris part à cet événement.

C’est lieu pour moi, en ma qualité de Secrétaire Exécutif de cette institution, pour saluer l’excellence des relations qui existent entre les universités camerounaises et le CERDOTOLA en matière de sauvegarde, de promotion, d’enseignement et de valorisation de l’héritage civilisationnel des peuples du Cameroun. Ce partenariat aura, une fois de plus, trouvé matière à épanouissement à travers la synergie des actions que le Département de Langues et Cultures camerounaises de l’École normale supérieure de l’Université de Yaoundé 1 et le CERDOTOLA ont mises en œuvre pour faire aboutir le projet d’ouvrage collectif que nous avons le bonheur de célébrer. »

Professeur Charles Binam Bikoï

Secrétaire Exécutif du CERDOTOLA

Août 2018