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APRNEWS- Le Camerounais Augustin Holl est un archĂ©ologue reconnu dans le monde pour ses contributions trĂšs importantes Ă  l’archĂ©ologie de plusieurs rĂ©gions d’Afrique et du Levant.

Les travaux des archĂ©ologues africains sur le passĂ© de leur continent sont trĂšs mal connus du grand public. Leur contribution sur ce sujet n’en reste pas moins remarquable. Parmi ces archĂ©ologues africains, le cas d’Augustin Holl est particuliĂšrement admirable.

Contrairement Ă  beaucoup d’Africains qui se cantonnent souvent Ă  des recherches sur leur rĂ©gion d’origine, ce brillant archĂ©ologue camerounais a travaillĂ© sur des rĂ©gions trĂšs diverses du continent, contribuant Ă  montrer le caractĂšre autochtone d’innovations culturelles comme l’agriculture ou la mĂ©tallurgie du fer. Entretien avec un scientifique au parcours et Ă  l’envergure exceptionnels.

Pouvez-vous nous dire ce qui vous a motivé à devenir archéologue ?

En fait, je suis devenu archĂ©ologue par accident. Je voulais faire un doctorat d’histoire sociale Ă  l’Ecole des Chartes comme mon premier choix. Mais sans compĂ©tence en latin et en grec, cela n’était pas possible. Mon deuxiĂšme choix Ă©tait la sĂ©miotique Ă  Paris VII, mais les dossiers Ă©taient en cours d’analyse et il me fallait une inscription pour ma carte de sĂ©jour. Mon troisiĂšme choix Ă©tait l’archĂ©ologie, mon dossier a Ă©tĂ© acceptĂ© Ă  Paris I PanthĂ©on-Sorbonne, et je me suis donc inscrit sans grande compĂ©tence dans ce domaine. En fait j’ai Ă©tĂ© inscrit en protohistoire europĂ©enne; ce qui a Ă©tĂ© ma chance, puisque j’ai Ă©chappĂ© aux « Africanistes » dĂšs le dĂ©but de mes Ă©tudes doctorales. J’ai passĂ© tout le reste de ma vie acadĂ©mique Ă  Ă©viter les milieux nĂ©o-coloniaux des Africanistes, aussi bien europĂ©ens qu’ amĂ©ricains. Ma principale motivation Ă©tait de travailler sur l’origine de l’agriculture en Afrique, qui Ă©tait supposĂ©e ĂȘtre venue du Moyen-Orient, et ainsi rĂ©futer les thĂšses diffusionnistes.

Quel a Ă©tĂ© votre premier sujet d’étude ?

Mon sujet a Ă©tĂ© comme dit ci-dessus, l’Origine de l’Agriculture en Afrique.

Mon rapport de DEA « Palethnologie de l’Agriculture en Afrique Sub-Saharienne » a analysĂ© l’état de la question et proposĂ© des mĂ©thodes pour aborder la question sous l’angle de l’écologie culturelle courante aux Etats-Unis et au Royaume-Uni mais inexistante en France. J’ai alors eu la chance d’ĂȘtre invitĂ© Ă  participer Ă  la Mission PrĂ©historique du Dhar Tichitt en Mauritanie par le Professeur Henri-Jean Hugot qui a eu l’occasion de lire mon mĂ©moire de DEA. C’est ainsi que j’ai fait trois mois de terrain en 1981 – fĂ©vrier, mars, avril – dans le Sahara Mauritanien. J’ai fini ma thĂšse en deux ans et soutenu en Mai 1983. Mes camarades français jusqu’à ce jour en restent estomaquĂ©s. Un poste de Professeur-Assistant m’a alors Ă©tĂ© offert Ă  Paris-Nanterre oĂč j’ai commencĂ© Ă  enseigner en Septembre 1983. Mon premier livre, “Economie et SociĂ©tĂ© NĂ©olithique du Dhar Tichitt, Mauritanie”, version expurgĂ©e de ma thĂšse a Ă©tĂ© publiĂ© en 1986 par le MinistĂšre Français des Affaires EtrangĂšres.

Vous avez travaillĂ© sur un grand nombre de zones gĂ©ographiques et temporelles. La civilisation nĂ©olithique de Dhar Tichitt, le chalcolithique du Negev (Palestine), des cimetiĂšres d’esclaves africains aux Etats-Unis, l’Empire de Kanem Bornou, le Sahara prĂ©historique, la SĂ©nĂ©gambie mĂ©galithique, etc. Je me trompe peut-ĂȘtre, mais il me semble que beaucoup d’archĂ©ologues africains, contrairement Ă  leurs collĂšgues europĂ©ens ou nord-amĂ©ricains, sont gĂ©nĂ©ralement limitĂ©s Ă  une seule zone d’étude, celle de leur origine. Ce trait se retrouve souvent dans d’autres disciplines Ă  ma connaissance, comme la linguistique. Cela est-il seulement dĂ» aux moindres moyens des organismes de recherche africains? Ou existe-il selon vous un complexe chez les chercheurs africains?

Je suis un « vagabond apatride ». 

J’ai refusĂ© d’emblĂ©e de faire ma thĂšse quelque part au Cameroun – mon pays d’origine. Mon co-directeur de thĂšse Ă  Paris I avait trouvĂ© que mon projet de thĂšse Ă©tait trĂšs ambitieux, et qu’il me faudrait au moins un dizaine d’annĂ©es pour y arriver; il m’a alors proposĂ© de faire un travail moins risquĂ© sur l’ethno-archĂ©ologie de la poterie dans le sud Cameroun, avec bourse et moyens Ă  la clĂ©. Le thĂšme Ă©tait trĂšs en vogue dans les annĂ©es 1980, mais il ne m’intĂ©ressait pas du tout. Je l’ai remerciĂ© de son soutien, tout en l’informant que je prĂ©fĂ©rais mon sujet initial. Une fois la thĂšse terminĂ©e, il a Ă©tĂ© un de mes plus fervents admirateurs.

Il faut Ă©viter des jugements globaux; il y a de profondes diffĂ©rences entre le monde anglo-saxon et l’univers francophone. Les archĂ©ologues africains des pays francophones sont dans l’ensemble verrouillĂ©s Ă  leur pays d’origine; c’est peut-ĂȘtre leur choix, c’est difficile Ă  dire. J’ai eu la chance d’avoir eu l’offre de poste Ă  Nanterre que je n’avais pas demandĂ©e. C’est sur la base de ma thĂšse que j’ai Ă©tĂ© surpris d’ĂȘtre contactĂ© pour cette offre inattendue. Il y a de nombreux archĂ©ologues africains dans les universitĂ©s amĂ©ricaines; mais lĂ  aussi, ils – je ne connais que des hommes dans ce cas Ă  ce jour – travaillent surtout sur leurs pays d’origine.

J’ai un faible pour l’expĂ©rimentation et le dĂ©fi personnel. 

En fait tout mon parcours est le rĂ©sultat de rencontres et d’invitations successives. Je n’ai jamais planifiĂ© Ă  l’avance d’aller en IsraĂ«l, ou aux Etats-Unis, j’ai Ă©tĂ© invitĂ© et j’ai eu des offres de postes. Les pays africains ne financent pas les recherches archĂ©ologiques. Ils laissent cela aux institutions Ă©trangĂšres, rĂ©duisant les collĂšgues africains locaux Ă  des comportements de mercenaires, ayant accĂšs Ă  quelques miettes des missions Ă©trangĂšres. Malheureusement ou heureusement – c’est selon – j’ai eu Ă  jouer ce rĂŽle de pourvoyeur aussi bien au Cameroun, qu’au Burkina Faso et au SĂ©nĂ©gal, et ceci va se poursuivre avec ma prochaine mission avec mes Ă©tudiants chinois au SĂ©nĂ©gal l’étĂ© prochain.

J’hĂ©site Ă  Ă©mettre un jugement de valeur global sur mes collĂšgues africains. Dans presque tous les cas, ils/elles ont affaire Ă  des systĂšmes gouvernementaux qui ne les soutiennent pas pour des travaux de terrain actifs.

Comment se porte l’archĂ©ologie de l’Afrique selon vous en 2018 ?

Ce serait prĂ©tentieux de donner un tel verdict global. A l’échelle continentale cependant, l’archĂ©ologie se porte trĂšs bien. Il y a des dĂ©couvertes phĂ©nomĂ©nales, Homo naledi en Afrique du Sud, Homo sapiens sapiens Ă  300 000 ans Ă  Jebel Irhoud au Maroc, l’observatoire astronomique de Nabta Playa, et beaucoup d’autres thĂ©matiques intĂ©ressantes.

Quelles sont les principales dĂ©couvertes qu’ont permis les recherches auxquelles vous avez pris part?

Personnellement, j’ai contribuĂ© Ă  une nouvelle interprĂ©tation des sociĂ©tĂ©s nĂ©olithiques du Dhar Tichitt, documentĂ© l’émergence des chefferies dans la plaine tchadienne sur une sĂ©quence de 4000 ans d’évolution, et suis actuellement engagĂ© dans un dĂ©bat fĂ©roce sur l’origine de la mĂ©tallurgie du fer en Afrique. Mon dernier travail offre une nouvelle synthĂšse sur l’expansion bantoue qui rĂ©pond Ă  de vieilles questions. Dans le Neguev, nos travaux ont dĂ©montrĂ© l’existence de chefferies. Mon travail le plus audacieux porte sur l’interprĂ©tation iconographique de l’art rupestre, essentiellement au Sahara et plus rĂ©cemment en Afrique Australe Namibie

« Beyond Chamanism »

Comment dĂ©finiriez vous votre approche personnelle de l’archĂ©ologie ?

Archéologie globale et comparative, fondamentalement pluridisciplinaire.

Si vous aviez un budget illimité et tout le temps et les autorisations nécessaires pour mener un projet archéologique de votre choix, quel serait-il ?

Superbe question que je pose souvent à mes étudiants.

Ce serait un programme de grande envergure sur la nĂ©olithisation au Sahara, dans le sud-ouest mauritanien, jusqu’à l’émergence de l’empire de Ghana, combinant gĂ©nomique — ADN – analyses nutritionnelles, analyses des mouvements de population, et archĂ©ologie des systĂšmes politiques dans la longue-durĂ©e.

Le grand public d’origine africaine est trĂšs intĂ©ressĂ© par l’Egypte ancienne et souhaiterait que plus d’archĂ©ologues africains y travaillent. Avez-vous pensĂ© Ă  (re)travailler en Egypte?

Non, on ne s’improvise pas Ă©gyptologue. J’ai une vue diffĂ©rente de la question qui va ĂȘtre dĂ©veloppĂ©e dans le nouveau Volume IX de l’Histoire GĂ©nĂ©rale de l’Afrique de l’UNESCO en cours de prĂ©paration. Et les donnes rĂ©centes – gĂ©nomiques essentiellement – ne permettent plus une focalisation raciale comme cela a Ă©tĂ© le cas jusque-lĂ . L’origine supposĂ©e Ă©gyptienne des plusieurs groupes ethniques africains – SĂ©nĂ©gal, Cameroun, Congo, Gabon – en fait partout oĂč il y a un de ces Ă©gyptologues, ne tient pas la route.

L’ADN ne permet plus cette sorte de raisonnement superficiel.

Un dernier mot pour nos lecteurs  ?

De la passion, de la rigueur, et de l’enthousiasme, tout le reste suivra.

Par Sandro CAPO CHICHI de New African Cultures

Dimanche, 29 juillet 2018

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