Le CERDOTOLA et la SIL-Cameroon ont co-organisé une journée d’études sur la définition d’une langue au Cameroun

Le 26 novembre 2022, le Laboratoire des Ressources Orales (LRO) du CERDOTOLA, sis en face de la Base 101, au quartier Mvan, dans l’Arrondissement de Yaoundé IV, a accueilli la Journée d’Etudes co-organisée par l’Institution et la Représentation Camerounaise de la Société Internationale de Linguistique, SIL-Cameroon.Photo d’ensemble, après la cérémonie solennelle d’ouverture

Une quarantaine de participants a pris part à cette rencontre scientifique. Outre les responsables du CERDOTOLA et de la SIL-Cameroon, on pouvait compter ceux de la Cameroon Bible Translation Association, CABTAL et du Centre des Civilisations Bantou, CICIBA, basé au Gabon, du Laboratoire Langues, Langages et Cultures d’Afrique Noire (LLACAN), des Enseignants et Chercheurs des Universités du Cameroun, notamment de de Bertoua, Buea, Dschang, Douala et Yaoundé 1. Y prenaient part aussi quelques chercheurs du Centre National de l’Education du Ministère de la Recherche Scientifique et de l’innovation du Cameroun, MINRESI, ainsi que des stagiaires encadrés au LRO, hôte de la rencontre.

Le premier temps fort de la session a consisté en la leçon d’orientation, qui s’est poursuivie par des communications. Le café scientifique, dernière articulation de la journée, a été marqué par la participation des plus hauts responsables des deux instances co-organisatrices, le Secrétaire Exécutif du CERDOTOLA, le Pr Charles Binam Bikoi et la Directrice Générale de SIL-Cameroon, Mme Fabienne Freeland.

1.  La cérémonie d’ouverture

La cérémonie d’ouverture a connu trois articulations : l’adresse du Représentant de Mme la Directrice Générale de la SIL, empêchée; le discours d’ouverture de M. le Secrétaire Exécutif du CERDOTOLA, et une photo de famille pour immortaliser l’instant.

Monsieur Apolinaire Ambassa, Directeur du Développement à SIL-Cameroun, prenant la parole en premier, a salué l’opportunité de cette rencontre qui ferait avancer les discussions sur la question des langues. Il a ensuite révélé la difficulté qu’il y aurait à prioriser entre divers facteurs à prendre en compte dans la définition d’une « langue », notamment les facteurs sociaux, l’intelligibilité mutuelle, la situation géographique et culturelle, les références dialectologiques, les pouvoirs politiques, financiers et religieux. Il a enfin émis l’idée que la prochaine journée d’études se penche sur le concept de documentation linguistique, dans un contexte où de plus en plus de langues camerounaises voient leur vitalité s’effriter.

Prenant la parole à son tour, le professeur Charles Binam Bikoi, Secrétaire exécutif du CERDOTOLA a ouvert son propos sur le mythe de la tour de Babel dans la bible, laquelle tour était construite par des hommes qui parlaient tous la même langue pour pouvoir accéder au paradis.  Pour les mettre en échec, Dieu leur fit parler différentes langues, et comme ils ne pouvaient plus s’entendre, le projet a échoué. Le parallèle est bien visible, car dans ce qu’il a nommé la babélisation linguistique de l’Afrique, le Secrétaire Exécutif du CERDOTOLA a présenté la situation multiculturelle de l’Afrique où règnent confusion et division, une situation qui demande en urgence à être questionnée, surtout au sortir des assises sur la Nouvelle Pensée Africaine.

 

Il n’a pas manqué d’attirer l’attention de la communauté des linguistes réunis pour la circonstance, sur ce que doit être la langue, c’est-à-dire un facteur d’unité. Car comme on l’a souvent malheureusement observé, la langue est parfois source de division. Et lorsque c’est le cas, elle prête le flanc au désordre en favorisant l’installation de la zizanie. C’est ce qui peut justifier que des tentatives de réflexions pour trouver une issue aux problèmes linguistiques ne débouchent assez souvent que sur l’échec.

Le mythe de la tour de Babel en est une parfaite illustration. L’illustration de ce que la volonté des chercheurs en linguistique du Cameroun et d’Afrique, dans leurs tentatives de produire des données sur les langues pourrait avoir comme résultat. Cette interpellation contextuelle des linguistes d’Afrique est un signal fort après des initiatives passées non fructueuses. Avant de s’engager dans un quelconque projet d’inventaire ou de dénombrement du patrimoine linguistique, les chercheurs africains doivent se demander au préalable, au service de qui et de quoi ils entreprennent cette réflexion.

2.  La leçon d’orientation

La série de communications a commencé par la leçon d’orientation délivrée sous la modération du professeur Jean Romain Kouesso de l’Université de Dschang, par le professeur Emmanuel Ngué Um, de l’Université de Bertoua, sous le titre ‘‘Rethinking Linguistics from an African perspective. Language as resistance to Western Hegemony in Social Linguistics’’.

De l’avis de l’orateur, la linguistique africaine tend à opérer en dehors de la société, puisqu’elle semble ne pas tenir compte de la dynamique sociale. S’appuyant sur l’histoire de la linguistique et des travaux antérieurs à ceux de Meinhof, l’orateur précise que la visée linguistique a toujours été celle de l’hégémonie. D’après lui, les classifications linguistiques actuelles sont arbitraires et occultent à dessein les réalités linguistiques qui sous-tendent les faits sociaux. Puisque la linguistique africaine semble souffrir d’un manque d’appropriation sociale ou encore que son appropriation sociale est limitée et d’une faible attractivité dans l’économie des savoirs, il urge de penser à un changement radical de paradigme. Il recommande alors   ‘‘la création d’un narratif différent qui tienne compte de la dimension sociale de la langue en contexte africain’’.

En guise de suggestions, Pr Emmanuel Ngué Um préconise un questionnement profond et un nouveau départ qui consistent à ne plus reconsidérer la langue comme réalité arborescente, mais plutôt comme un rhizome ou comme « des rivières qui coulent et qui ont des affluents ». Dans la même veine, au lieu de s’intéresser à la définition d’une langue ou d’une linguistique du génie de la langue, il est plus important de s’intéresser à une linguistique d’application qui tienne compte de la géographie sociale et des faits linguistiques.

3.  Sessions de communications

La leçon inaugurale a été suivie de deux sessions de communications sur les aspects théoriques d’une part, et les aspects pratiques d’autre part.

La première session de cette journée d’études qui portait sur les Aspects théoriques a été modérée par le professeur Pius Akumbu du LLACAN à Paris, et s’est structurée autour de quatre (4) communications effectives. Ces dernières qui ont abordé des aspects variés des connaissances théoriques en linguistique ont été respectivement présentées par le Pr Jean Romain Kouesso de l’Université de Dschang, dans une communication intitulée « Dénombrer les langues : quand les frontières linguistiques disparaissent », suivi de Dr Madeleine Ngo Ndjeyiha de l’Université de Yaoundé 1 dont le sujet était « Et si le basaa n’était pas une langue : évidences du point de vue anthropologique », puis de Dr Danielle Olive Mouasso Lotin, de l’Université de Douala, sur  « Les langues maternelles au Cameroun : vecteurs de l’identité et moyens de communication » et enfin de Dr Rodolphe Prosper Maah, également de de l’Université de Douala, dont la communication portait sur  « Impact de l’idéalisation sociolinguistique des critères d’identification des langues ».

La deuxième session portant sur Les Aspects techniques était modérée par le Pr Emmanuel NGUE UM. Cette session prévoyait cinq (5) interventions.

La première présentation a été faite par le Dr Emmanuel Lingock de l’Université de Yaoundé I, sur le thème : « Planification et impérialisme linguistique au Cameroun : l’étude de la langue chinoise dans les établissements scolaires », suivi par celle du Pr Joseph Mbongue, de l’Université de Yaoundé I. qui avait pour thème : « Determining a language using the lexicostatistic analysis and the Recorded Text Testing (RTT) » .

Le professeur Emmanuel Ngue Um a inauguré la séance des discussions.  En guise de contribution, Madame la Professeure Ndongo Semengue a précisé que les critères linguistiques jumelés aux critères sociolinguistiques permettaient d’équilibrer l’objectivité des enquêtes.

La troisième présentation de cette session était celle du docteur Adriel Josias Bebine avec pour thème : « Evaluation des propositions antinomiques du statut des parlers des groupes linguistiques à l’aune des enjeux humains : le cas du Yambassa central au Cameroun ».

La quatrième intervention de cette session s’est faite en ligne, depuis le Canada, par Mme la Professeure Evelyn Fogwe Chibaka, sur le thème : « A scientific contribution to the Language-Dialect problematic : the Nkon/Mankon (Ngemba) experience ».

La cinquième et dernière présentation de cette session qui portait sur : « l’identification du patrimoine linguistique d’une communauté multilingue : l’exemple du Cameroun » a été proposée Dr Laurence Ngoumamba, dans le cadre d’un travail qu’elle mène avec le professeur Etienne Sadembouo.

Dans la conclusion de sa communication, elle suggère des assises collectives en vue de la production d’un Atlas harmonisé et révisé qui pourrait lever le voile sur le nombre de langues au Cameroun, lequel prendrait en compte les travaux actuels du CERDOTOLA et des académiciens et de la SIL. Toutefois, il faudrait définir clairement les objectifs d’une telle assise, a précisé le modérateur.

4.  Le café scientifique

 Le café scientifique, qui était la dernière articulation de la journée d’étude, s’est ouvert par un mot de madame le professeur BOUM NDONGO SEMENGUE, mémoire vivante du projet de l’Atlas linguistique du Cameroun. En sa qualité de témoin de l’histoire, elle est revenue sur les temps forts de la naissance dudit  projet à la fin des années soixante-dix, en rappelant les acteurs clés et surtout en reprécisant les enjeux et les objectifs qu’ils s’étaient assignés à cette époque-là avant de conclure son propos par un aveu à l’assistance concernant la non atteinte de certains objectifs initiaux du projet en raison d’un manque  d’outils de traitement et des moyens insuffisants pour la prise en charge du déroulement des travaux.

Le café scientifique consistait dans la répartition des participants en trois groupes ateliers dont l’un est désigné rapporteur. Chaque groupe était appelé à répondre, après discussion autour d’une tasse de café, aux trois questions suivantes :

Question 1 : Quels facteurs linguistiques peut-on retenir pour désigner une langue ?

Question 2 : Quels facteurs non linguistiques peut-on retenir pour désigner une langue ?

Question 3 : Quels sont les défis et les enjeux de la désignation des unités langues au Cameroun ?

Au bout de 10 min, chaque groupe a commis un rapporteur pour restituer les réponses proposées, qui ont été présentées et qui serviront de recommandations issues de la journée d’Etudes.

L’honneur est revenu au Dr Emmanuel-Moselly Makasso, Responsable du Comité d’Organisation de la journée, de prononcer le mot de clôture, au nom du Secrétaire Exécutif du CERDOTOLA, avant une dernière photo souvenir entre les participants et la Directrice Générale de SIL Cameroon, Madame Fabienne Freeland.

Le grand mérite de cette journée d’études est d’avoir soulevé la question de la notion de « langue » qui sème le doute dans beaucoup d’esprits.

La facilitation de l’exécution des tâches de recherche scientifique dans le domaine des traditions orales et le développement des langues africaines est l’une des missions régaliennes du CERDOTOLA.  Et de l’avis des participants, des modérateurs et de l’organisation, les objectifs de cette Journée d’Etudes ont été largement atteints, à savoir : questionner la notion de « LANGUE », telle qu’elle a été instillée et mise en usage dans notre société. La Journée d’études s’est achevée à la satisfaction de tous.

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